Ce travail propose de poser à nouveaux frais la question de la postmodernité en architecture, en rouvrant le dossier de l’enquête postmoderne déjà copieusement instruit par plusieurs générations de philosophes et d’architectes. Il s’agit de poser une autre définition de cette architecture, en la faisant moins découler des analyses stylistiques et esthétiques auxquelles nous ont habitués des chapitres entiers du dossier, que d’un moment de rupture, au seuil des années 1960, qui se manifeste symptomatiquement dans deux numéros de Casabella Continuità (1963) et de Perspecta (1966). Cette rupture se traduit par un sentiment, chez les architectes américains qui sont présentés dans ces textes, de s’inscrire en défaut par rapport à la législation esthétique que la modernité a appelée de ses vœux et que les CIAM n’ont pas peu contribué à codifier et à légitimer. Les architectes en question seraient hors la loi. Ce rapport à la loi, à la règle est en fait moins littéral que métaphorique. C’est du moins ce que vise à démontrer cette thèse en étudiant tout un ensemble de notions qui semblent travailler le champ de l’architecture depuis maintenant plus d’un siècle, si l’on veut bien inscrire dans la perspective de ce rapport à la légalité la lointaine figure du criminel que Loos imagine dans Ornement et crime en 1908. Pour comprendre et redéfinir l’architecture postmoderne, pour rouvrir ce dossier loin d’être définitivement classé, ce travail postule l’intérêt de déplier la métaphore du crime, qui conjugue dès le début du XXe siècle les motifs (ornementaux) aux mobiles (criminels), et que reprendront trop bien à leur compte ce que l’on appellera dans le cadre de cette recherche des gangs d’architectes, dès lors qu’il s’agit pour eux, à partir des années 1960, d’en découdre avec le modernisme et de renouer avec le collectif. Tout en dépliant cette métaphore, qui mène tout droit vers les groupes d’architectes américains des années 1960 et 1970, plus théoriciens que praticiens, réflexifs, critiques et profondément engagés dans des controverses, c’est la recherche elle-même qui marque une certaine inflexion et qui se teinte nécessairement d’une forme réflexive et interdisciplinaire propre à ces mêmes années. Suivre la trace de ces gangs en remontant le fil de leurs affaires criminelles peut bien faire de cette recherche une enquête, encore faut-il fonder une telle méthode dans une démarche scientifique et rappeler les cadres théoriques dans lesquels cet objet – l’architecture postmoderne et ses représentations – nécessite d’être saisi. Ces cadres ressortissent aux études culturelles, dont ils enregistrent les effets dans le champ de la recherche en architecture dès les années 1970. Ainsi ce travail de recherche est envisagé sous l’angle des études critiques en architecture, dont il faut bien, au-delà du sujet postmoderne, interroger la pertinence et la justesse aujourd’hui.