J’avais dix ans. C’était après la guerre et l’Iran était sous embargo. A l’école je n’avais que deux crayons pour écrire mes devoirs, un noir et un rouge. Les deux étaient ornés du symbole d’une marque, un crocodile noir. Cela était aussi un gage de qualité. Mes crayons crocodiles écrivaient bien. J’étais habituée à les voir, mes crocodiles. Puis je passais beaucoup de temps avec ma tante. Elle faisait de la couture. Je jouais avec les restes des tissus. J’étais fascinée par les couleurs et par des formes que je créais avec ces bouts de tissu. J’ai sans doute commencé mes premiers collages à ce moment-là. Plus tard quand je suis devenue peintre, les animaux et les couleurs étaient la base de mes peintures. Parmi ces animaux le crocodile surgissait sans que je sois consciente de la raison de cette apparition. Un jour en réfléchissant je me suis souvenue de mes crayons d’enfance ! Quand j’ai commencé à peindre, les limites et les contraintes en Iran ne me permettaient pas de m’exprimer librement. Alors le jeu d’enfance que j’avais repris dans le style de ma peinture, me rendait celle-ci agréable et ludique. J’avais mes couleurs et le jeu, et j’exprimais ce que je voulais ; j’avais réussi à trouver un langage d’expression ludique et fort et j’en étais ravie. Je n’étais pas la seule à prendre le jeu comme moyen de contourner les limites et la censure. Déjouer les limites par le jeu était le centre de notre travail. La réflexion sur l’irruption du jeu dans l’art visuel contemporain et en particulier en Iran est devenu le sujet central de ma réflexion et de mon interrogation sur les raisons qui nous ont conduit à nous exprimer ainsi. Je l’ai donc choisie comme le sujet de ma thèse. [...]