Le burlesque cinématographique dont il est question ici est transversal, ouvert à un corpus bien plus large et diffus que celui auquel on l’associe en règle générale : à partir d’analyses filmiques attentives d’abord aux inventions figuratives, au travail des formes, des liens sont faits entre des films d’époques et de nationalités diverses, du cinéma des premiers temps au cinéma contemporain. Ce travail cherche ainsi à s’émanciper des critères préconçus du « genre », qui coince pour l’essentiel le burlesque entre les années 1910 et 1930, et à distinguer plutôt, trouvant ailleurs sa cohérence, une modalité esthétique de représentation des corps – l’une des plus durables de l’histoire du cinéma. La persistance que nous plaçons au principe de cette modalité renvoie d’abord à la force d’incarnation de corps résistants à différentes formes de contrôle et de menace mises en évidence par l’anthropologie du XXe et XXIe siècles (emprise croissante de la médecine, virtualisation, encadrements rythmiques). Au-delà du renversement par les personnages, au niveau narratif, des normes établies, les corps burlesquement représentés font ainsi figures de contre-modèles à des corps dont la science et l’industrie cherchent à faire disparaître la matérialité indésirable. La persistance des corps se réfère également à leur nature cinématographique : il nous importe de montrer que les corps en question sont des créatures filmiques, adhérant pleinement à leur médium et porteuses en retour d’un certain régime d’image qu’il s’agit de définir. L’autodétermination toujours en cours des corps burlesques n’est pas le moyen d’un isolement, d’une prise d’indépendance aveugle à leur milieu : bien au contraire, la modalité à l’étude se caractérise par les multiples interrelations qu’elle élabore et actualise, quel que soit l’angle d’approche considéré (organique, physique, rythmique).
The cinematographic slapstick discussed here is open to a much broader and more diffuse corpus than that with which it is generally associated: based on filmic analyses that focus primarily on figurative inventions, links are made between films from different eras and nationalities, from early to contemporary cinema. The aim is to break free from the preconceived criteria of the “genre”, which essentially confines slapstick to the 1910s and 1930s, and to distinguish an aesthetic modality of body representation - one of the most enduring in the history of cinema. The persistence that we see as the principle of this modality refers first and foremost to the power of incarnation of bodies resisting the various forms of control and threat highlighted by the anthropology of the twentieth and twenty-first centuries (growing influence of medicine, virtualization, rhythmic framing). In addition to the characters' narrative reversal of established norms, the slapstick bodies act as counter-models to bodies whose undesirable materiality science and industry seek to eradicate. The persistence of the bodies also refers to their cinematographic nature: we need to show that the bodies in question are filmic creatures, fully committed to their medium and in return bearers of a certain image regime that we need to define. The ongoing self-determination of slapstick bodies is not a means of isolation, of blind independence from their environment: on the contrary, the modality under study is characterized by the multiple interrelationships it elaborates and actualizes, whatever the angle of approach considered (organic, physical, rhythmic).