Les titres des poèmes symphoniques de Richard Strauss et des symphonies de Gustav Mahler font de nombreuses références à des œuvres littéraires ; ceci a longtemps alimenté le débat sur la musique à programme en général, et sur le caractère programmatique des symphonies de Mahler en particulier. Or avant de parler de musique à programme, il y a peut-être lieu de s’interroger sur le lien qui unit, esthétiquement parlant, l’œuvre musicale et l’œuvre littéraire. La présente étude montre qu’il ne faut pas considérer la musique à programme comme une simple transposition en sons de l’œuvre littéraire, mais bien plus comme une critique, au sens schlégélien, de cette dernière. En partant des théories de Liszt sur la musique à programme (telles qu’il les formule dans son essai sur « Harold » de Berlioz), il nous a été possible de mettre en évidence cette relation critique et d’en appliquer les principes aux poèmes symphoniques de Strauss. Il devenait alors possible de réinterpréter la forme musicale en fonction de ces données et de dépasser les simples catégories de la forme sonate. Dans les symphonies de Mahler, le rapport entre musique et littérature se fait sur un mode de type « analogique » : Mahler ne critique pas l’œuvre littéraire, car celle-ci ne lui sert pas de sujet, mais il révèle par les titres (ou sous-titres) de ses symphonies des parentés stylistiques, ou même plus généralement esthétiques, entre sa composition et l’œuvre littéraire citée. Ainsi les nombreuses références à Jean Paul, Hoffmann ou au « Wunderhorn » dans ses premières symphonies ne trahissent-elles que l’imitation par Mahler du style fantastique de ces textes. Notre étude a ainsi mis en évidence de nombreux procédés littéraires propres au fantastique dans la musique de Mahler. Elle a aussi pu montrer que le style fantastique est cela même qui permet à Mahler d’assurer, au sein de ses symphonies, une continuité stylistique entre les mouvements chantés et les mouvements purement instrumentaux.