Le dossier d’Habilitation à diriger des Recherches (mention « Design ») présenté par David Bihanic se compose de deux principaux volumes : un rapport de synthèse intitulé « "Sous l’horizon d’un projet". Pratique et théorie du design : de sa collaboration avec les sciences de l’ingénieur à sa relation à l’architecture » (Volume #1 « Synthèse »), et un ouvrage inédit titré « Du gouvernement des formes. Essai sur l’architecture et le design » (Volume #2 « Inédit »). Ces deux documents sont complétés d’un dossier annexe composant un recueil de travaux (#3 « Annexe »). Enfin, s’adjoint à ces différents éléments une exposition de projets de design de données (data design) réalisés entre 2019 et 2024 — exposition tenue le jour de la soutenance le 19 mars 2024.
Résumé du volume « Synthèse »
Henri Maldiney de considérer dans « Vers quelle phénoménologie de l’art ? » (p. 439-456) que tout ce qui se révèlera essentiel, soit chargé de sens, de significations et de facto empli d’intérêts et de valeurs (et sans doute plus encore) pour Nous, procèdera d’une certaine relève, d’une découverte située non tout à fait au cœur mais bien plutôt dans l’entour ou périphérie (voire dans le « débordement ») d’un projet : « (…) le monde [écrivait-il] est le lieu d’un décel où tout acquiert sens d’être sous l’horizon d’un projet » ; en irait-il alors là de ce qui échappe et « ne se produit [conséquemment] pas à l’horizon d’une visée ou d’un projet » mais bien plutôt se manifeste, apparaît en deçà (et non au-delà ni par-delà) des lointains que trace ce dernier, comme à l’écart ou à distance de son dessein et tout à la fois pris, emporté dans le « mouvement » qu’il engage. En d’autres mots, reviendrait-il, pour Maldiney, de signaler que si du projet existe, pouvant s’avérer complètement nécessaire et utile, il ne doit s’en trouver pour autant restreint ou réduit à son seul « point » de destination mais davantage regardé, approché, apprécié ou considéré au travers de la trajectoire qu’il ouvre (du projet au trajet), des divers chemins ou passages qu’il ménage — s’y logeraient (hypothétiquement) de vastes champs de possibilités, de potentialités et d’opportunités n’attendant qu’à être débusquées, décelées.
A bien y regarder, ce que le philosophe nous livre ici a rapport d’assez près avec ce que le design aura tenté, essayé de faire, de penser. En effet, si le Projet entendu comme démarche, méthode ou encore Culture lui sied dans une large mesure, il conviendra de noter que le design se sera évertué, et ce depuis ses débuts, à s’en détacher ou, à tout le moins, à s’en éloigner un peu, un temps, faisant route, « promenant » (d’une part) « sous l’horizon » de ce qu’il continuera (d’autre part) à projeter.
Dans le cadre de ce premier volume, je m’attache à préciser, sur les plans notamment épistémologique et praxéologique, ce que recouvre cette manière ici toute particulière qu’a le design d’avancer, de progresser — fort de ses échanges (pratiques) [plus souvent de ses frottements] avec les Sciences de l’ingénieur, également de ses liens et rapports (principalement conceptuels et théoriques) avec l’Architecture. Pour ce faire, je procède à une « rétro-analyse » de cas et situations de projets qu’il m’a été permis de rencontrer au cours de mon parcours de designer-chercheur, tant en qualité de « porteur (de projet) » que de « collaborateur ». En sus, je relie ces cas et situations aux différentes recherches, études et analyses qu’il m’a été donné de produire et de publier (ouvrages, chapitres d’ouvrages, articles, pour certains extraits d’actes de colloques et conférences) ayant trait, d’une part, au rôle et domaine/terrain d’action du design en collaboration « experte » et, d’autre part, à ses visées, apports et singularités de vue (en tant que champ et spécialité à part entière). Aussi, revient-il donc dans ce document d’accorder une synthèse d’ordre égo-historique à un « regard » et propos que je dirais plus spéculatif, ceci s’avançant en contribution à une épistémè des principaux « trajets » (et parfois tribulations) du design en projet.
Résumé du volume « Inédit »
L’architecture et le design partagent un même souci des formes, tous deux les considérant moins pour ce qu’elles sont que pour ce qu’elles peuvent, pour ce qu’elles engagent et ouvrent comme possibilités. N’aspirant pas à avoir empire sur elles, ils assumeraient, l’un et l’autre à leur manière, de gouverner les formes, au sens d’un ménagement (das Schonen), pour que dérivent d’elles tant l’apparence que l’utilité de bâtiments, d’objets nouveaux entre autres choses.
Au sein de cet essai (composant le second volume), je m’attelle à clarifier la contribution commune de l’architecture et du design au dessein des formes, précisant en quoi celle-ci s’avèrerait tout entière retenue à un accomplissement.