Conférence de Simone Fehlinger « Le fond vert chroma key : Réflexions sur une architecture générique liant des réalités et fictions futures » 1er juin 2023

     Tout récit est conditionnée par le média à partir duquel il émerge. Jakob von Uexküll (1921), Friedrich Kittler (1986), Vilém Flusser (1996) ou Jussi Parikka (2017) montrent que nous co-évoluons avec nos appareils dans une culture technique. Liés à des instruments, nos corps définissent les relations avec nos milieux de vie. Dans Window Shopping. Cinema and the Postmodern (1994), Anne Friedberg affirme que par leurs qualités techniques spécifiques, les outils modernes transforment les sujets qui les utilisent. Étant donné que nos représentations sont toujours liées à des réalités et pratiques matérielles, Hito Steyerl (2013) propose ainsi de changer la réalité via nos techniques de (post)production. En explorant notre crise écologique actuelle en tant qu’artefact culturel (matériel et esthétique), je questionne les images du bulletin météo mainstream qui incorporent – via des techniques de (post)production (audio)visuelles – les idéologies modernes et anthropocentriques dans nos réalités quotidiennes. Cette conférence explore plus particulièrement la technique du chroma key compositing – technique de (post)production permettant de superposer des réalités (des corps placés devant un fond vert ou bleu) et des fictions (des images, des vidéos). Au-delà de décrire cette technique d’incrustation comme architecture composite (setup constitué de câbles, caméras, ordinateurs, mélangeurs, écrans, etc.) liée à des innovations technologiques, je propose une réflexion sur ses dimensions performatives : La technique d’incrustation chroma key (déjà couramment pratiquées dans le cadre de la production météorologique), dépasse-t-elle les dualismes modernes (réalité/fiction, intérieur/extérieur, local/global, etc.) afin de concrétiser de nouvelles projections ? Le fond vert, est-il à la fois « architecture générique » (Robert Venturi, 1994) et outil pour suspendre, déconstruire les visions du monde et, par conséquent, reconfigurer nos futures relations avec nos environnements ?

     Designer graphique, diplômée d’un master en arts politiques - SPEAP, Sciences Po Paris, Simone Fehlinger développe une méthodologie de recherche à la croisée de l'art, du design et des sciences sociales. Cette approche lui permet d’explorer des réalités fondées à partir de fictions en questionnant la performativité du design et sa capacité à créer des idéologies à travers la forme. Portant sur les imaginaires de l'Anthropocène, les fictions politiques et la culture visuelle et matérielle contemporaine, ses travaux interrogent le design en tant que discipline définissant les interactions entre l'homme et ses environnements naturels et artificiels. En 2019, en compagnie d’Olivier Peyricot et Michel Lussault, elle co-fonde, le “Deep Design Lab - Explorations profondes des matérialités et des représentations visuelles de l’Anthropocène” à la Cité du design-École supérieure d'Art et Design de Saint-Étienne, où elle enseigne désormais au sein du DNSEP Design Public(s). Elle est actuellement doctorante à l’UR ACCRA à l’Université de Strasbourg au sein du Groupe Cultures visuelles où elle développe une recherche sur la science et la fiction du bulletin météorologique mainstream qui organise les réalités quotidiennes anthropocènes. La préfiguration de cette recherche a donné lieu à des articles (Fehlinger, S. « Material and Visual Revolutions. Post-production Tools for Change ». Diseña, No. 16, 2020 ; Fehlinger, S. « New Weather TV - Re-designer les fictions modernes pour re-designer nos réalités ». Multitudes, No. 89, 2022) ainsi qu’à des installations vidéo et des lectures performées (Teasing New Weather TV: Post-producing Global Views, 2020-ongoing ; Teasing NWTV: Generic Weather(s), 2022-ongoing).